Maman et les extraterrestres

Publié le par Lola Litha

Depuis que j'ai 6 ans, une vision revient périodiquement me tourmenter.
Maman et moi partons du village où nous vivions alors. Elle me tient par la main, sévère, butée, muette. Nous passons devant tous les gens que nous connaissons ; ils me regardent durement et se détournent.
Nous prenons le chemin de la grande route. Au milieu de cette route grise, un vaisseau d'extraterrestres. Une grande soucoupe volante, pâle, entourée de couleurs chaudes.
Le souvenir s'arrête ici.
Ce qui m'a troublée pendant tout ce temps, c'est que ce n'était pas un rêve. Ce n'était pas non plus, tout à fait, la réalité. La mémoire sait faire la différence entre ce qui est vécu et ce qui est rêvé. Là, c'était entre les deux.
À certaines périodes, cette vision m'a obsédée. Être enlevée par des extraterrestres, c'est quoi ce souvenir d'enfance ? Alors je suppliais mon inconscient de me donner la solution.
Un jour, mon regard s'est posé sur une lampe de bureau que j'aimais beaucoup, rouge, en forme de tasse inversée, et j'ai eu l'intuition que j'avais une partie de la réponse.
J'en ai très peu parlé, évidemment. Entre voir la Vierge et voir les extraterrestres... et je ne veux surtout pas qu'on me prenne pour une idiote. Mais je repensais avec tristesse à l'expression de ma mère, aux gens que j'aimais bien qui se détournaient de moi.
Quelques années après l'épisode de la lampe, je me suis intéressée aux travaux de la psychanalyste Alice Miller. Dans un de ses livres, elle soutenait que "Guernica" de Picasso n'avait pas été peint en réaction à cet événement, mais que le bombardement de Guernica avait réveillé chez lui le souvenir d'un traumatisme survenu à l'âge de trois ans : un tremblement de terre survenu dans sa ville. Son père l'avait pris dans ses bras et l'avait mené à un abri.
Rentrée chez moi, je repensai à cette anecdote. Je me suis mise à farfouiller machinalement dans les applications de mon ordinateur que je n'ouvre jamais et je suis tombée sur une démo de 3D. En regardant des formes sinusoïdales s'agiter sur l'écran, je laissai mon esprit vagabonder sur des idées de soucoupe volante et c'est là que j'ai eu la solution.
Dans notre village de bord de mer, j'avais des otites à répétition - les bienfaits de l'air marin... L'ORL a donc suggéré à ma mère de me faire poser un yoyo dans l'oreille pour protéger le tympan. Elle m'a donc emmenée à la grande ville pour me faire opérer.
L'entrée de la salle d'opération était aussi la sortie, si bien que tous les enfants en attente voyaient passer devant eux des enfants pleurant, hurlant et parfois un peu ensanglantés. Dans la salle d'opération, on m'a endormie avec un tampon de chloroforme. Je ne voulais pas perdre conscience et je me souviens des couleurs chaudes qui ont dansé devant mes yeux avant que je ne m'endorme...
La lampe rouge m'a servi pour imaginer une soucoupe volante modèle standard, une manière de travestir une réalité trop brutale pour l'enfant que j'étais. Depuis, je suis rassurée : je ne suis pas une victime des extraterrestres...

Publié dans Bavardages

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