Episode 1

Publié le par Lola Litha


Sarah tricotait paisiblement en compagnie d’Annette, d’Ida et de quelques autres, venues inaugurer le nouveau café-tricot de la boutique de laines.

 

Les participantes avaient échangé leurs prénoms et s’étaient montré dit leurs ouvrages, qui allait de l'écharpe en entrelacs à la veste en point fantaisie, sans oublier la débutante, dans le coin gauche, qui tricotait au point mousse un étui de téléphone portable.

 

A présent, elles parlaient entre elles, à voix basse, de différentes techniques. Interrogée par Léa, une débutante, une tricoteuse chevronnée du nom de Delphine s'écria "Ah non, jamais de Magic Loop ! Le Magic Loop, c'est l'Antéchrist." Quelques-unes éclatèrent de rire et d'autres prirent la défense de la technique honnie. La débutante, un peu perdue, regarda bien toutes celles qui professaient aimer le Magic Loop et demanda sur-le-champ à ce qu’on le lui enseigne. Une bonne âme lui montra comment faire et elle s'appliqua à faire un bonnet, les yeux rivés sur les évolutions de la longue aiguille flexible.

 

La porte s’ouvrit. Sarah eut une exclamation de surprise en voyant Salomé, sa fille, l'air embarrassé, précédée d'un garçon de son âge.

 

« Maman, je te présente Paul, il est avec moi en cours d’italien. »

« Bonjour madame", lui dit Paul avec un grand sourire. "Alors, vous tricotez ? C'est de la balle, j'aimerais bien apprendre."

 

Un grand silence se fit.

 

Sarah finit par dire « Bien sûr, si vous voulez, je vous apprendrai. » Salomé se renfrogna un peu et l’ensemble des participantes au café-tricot regarda le jeune homme s’asseoir auprès d’elle avec des yeux ronds et un sourire narquois.

 

« Il paraît que les hommes se remettent au tricot"

« Oui, j’ai vu le sondage »

« En tous cas, il n'y a pas de honte à se mettre au tricot quand on est un garçon, jeune homme. Les premiers tricoteurs étaient des marins arabes !"

« Ce n’est pas vrai » déclara tranquillement Annette. « Les femmes ont été les premières à tricoter, et cela remonte à l'antiquité grecque. Je le sais, j'étais là !"

Ida lui envoya un grand coup de coude.

« Ma soeur est une farceuse ! » lança-t-elle à la cantonade. Les tricoteuses, qui avaient été un peu intriguées, firent un vague sourire à Annette et se remirent à leur ouvrage. Sarah apprenait à Paul à monter les mailles. Salomé se tenait à l'écart, perchée sur l'accoudoir du canapé, voulant partir mais ne voulant pas laisser Paul.

« Alors, tu ne veux pas tricoter comme ton petit ami ? » demanda gentiment Océane, une jeune femme d’une trentaine d’années en plein raglan du Taille de guêpe.

Sarah évita soigneusement de regarder Salomé et tendit l'oreille tout en essayant d'avoir l'air désinvolte. Paul, lui, regarda Salomé avec espoir. Salomé rougit.

« On ne sort pas ensemble, on sort juste ensemble, c'est tout. Enfin, euh, on se promène ensemble, des fois.»

 

Pendant tout le reste du café-tricot, Sarah soumit Paul à un interrogatoire qu’elle voulut discret, sur ses goûts en matière de loisir, s’il aimait l’école, s'il savait ce qu'il voulait faire plus tard, ce que faisaient ses parents, s'il fumait ou avait l'intention de commencer à fumer.

« Vous qui êtes jeune, le cannabis, personne ne fume du cannabis à votre âge, au collège, non ? Salomé ne me parle jamais de sa vie à l’école. »

« Maman ! » grommela Salomé, toute rouge.

« Euh... non, madame, personne ne fume des joints, madame, en tous cas pas dans notre collège, madame", répondit Paul en se battant avec ses aiguilles. Lui, il voulait juste apprendre à tricoter pour se faire l'écharpe du Dr Who, et il voulait se mettre bien avec la mère de Salomé, parce qu’il aimait bien Salomé, vraiment bien, mais là, il trouvait que ça faisait beaucoup. Il finit par se lever, en remerciant Sarah très poliment. Sarah tendit la main et la lui serra, notant qu’il avait la poignée de main ferme et chaude, mais un peu humide. Jusque-là, il lui faisait bonne impression. Il faudrait en parler avec Martin ce soir.

Paul acheta une paire d’aiguilles et quelques pelotes aux couleurs variées.

« Ouh là là ! » dit Sarah gentiment. « Mais vous allez dépenser tout votre argent de poche ! Non ? »

« Non" répondit Salomé à sa place."A ce soir, m'man."

 

Peu à peu, les tricoteuses quittèrent la boutique en félicitant Ida et Annette de leur bonne idée.

Une fois seules, celles-ci se mirent à ranger la boutique et à faire les comptes.

« Annette, pourquoi as-tu raconté ce bobard sur l’origine du tricot ? » demanda Ida.

« Pour rire" répondit Annette.

« On ne plaisante pas avec ça. » dit Ida d’un ton grave.

*   *   *

Léa rentrait chez elle. Dans son immeuble, elle n'ouvrit pas sa porte, mais toqua discrètement, et selon un rythme précis, à la porte de son voisin.

Celui-ci ouvrit, l’air enthousiaste. Il s'assombrit en voyant Léa.
« Qu’est-ce qu’il y a ? "
"J'en sais plus sur l'Antéchrist" lui chuchota-t-elle. "Une technique secrète... Certainement très utile lors des sabbats ! Peut-être même dès ce soir !"
Le voisin pâlit. Il la fit entrer.

Publié dans La pelote vengeresse

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C
Bonsoir Madame Sabine, Sans vouloir vous bousculer... nous attendons la suite de cette epopée en poils de moutons.
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