Je t'aime, oh oui je t'aime

Publié le par Lola Litha

         Le jeune clown s’avance, épaules remontées, mains dans le dos, regard doux. Il se pose et semble prêt à repartir au moindre signe.

         Nous le regardons, nos nez rouges pendant à notre cou ou à la main, assis n’importe comment  sur des bancs et des chaises. Une voix accueillante s’élève :

- Mais c'est monsieur G... * !

- Oui... (il est content qu’on veuille bien de lui. Il va rester finalement.)

- Qu’est-ce que vous allez faire ?

- Chanter une chanson.

- Eh bien, allons-y.

         Il me regarde dans les yeux pour dire calmement :

- Je t’aime, oh oui je t'aime, moi non plus.

         Silence. Moment de déstabilisation : ah, il va chanter – enfin, réciter – ça.

- Je suis la vague...

         Pause. Il a chaud. Il sort un mouchoir de sa poche, se tamponne le visage avec un petit sourire d’excuse, range son mouchoir, reprend.

- …entre tes reins…

         Il a l’air de plus en plus timide. Nous rions, gênés, parce qu’il est en train de nous parler de ça, en nous regardant droit dans les yeux, il nous dit tout ça.

- …et moi, l’île nue…

         Pause. Tout le monde a chaud. Il sort un ventilateur de poche et se rafraîchit, complice.

- …Je t’aime…

         Il s’arrête. Il bougonne.

- Et après, c’est tout pareil.

- Ah bon ? reprend la voix accueillante. Qu’est-ce qui se passe après, c’est toujours la même chose ?

- Ben après la dame elle jouit…

         Le mot, prononcé distinctement, résonne. Le frottement du –j, le –i aigu.

- … et pas le monsieur.

         Il me semblait que le monsieur, il jouissait quand même, à la fin.

         Qu’importe. Nous sommes tous troublés.

         D’abord il y eut la surprise, puis la gêne, écho de la gêne d’un faux timide, et enfin le trouble.

         Et dans ce trouble, je ne vous dirai pas ce qu'il y a, ça me donne envie de rougir.

         Merci à lui, ce petit clown, qui en quelques minutes a su rendre à une chanson archiconnue toute sa force, toute sa charge érotique.

         Quelques semaines plus tard, j’ai ré-entendu la chanson, en Angleterre. Il faisait gris, j’étais dans un charity-shop (boutique où les profits sont reversés à une œuvre de charité) terne, en compagnie d’une femme aux cheveux gris et ras, à lunettes, qui n’avait pas l’air de faire l’île nue bien souvent, et d’une femme voilée.

         Mon cœur battit plus fort. Mais il était bien le seul.

 

*L’anonymat des clowns a été préservé.

Publié dans Les joies du métier

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M
Exact. D'autant plus que c'est la dame qui dit "Maintenant, viens", mais on n'a pas d'indice clair que le monsieur obtempère.
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M
A moi aussi il me semble que le monsieur jouit à la fin. Mais en y repensant bien, il est vrai - je crois - que rien ne le prouve.
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L
Oui, c'est ça, "l'amour physique est sans issue", ça peut vouloir dire qu'il ne jouit pas...
A
Hmmm mais c'est torriiiide ici, ce soir ! Et ça m'évoque plein de souvenirs à moi aussi... Merci de me les avoir remis en mémoire ;-)
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L
de rien ;-)
F
Ouh, c'est chaud comme spectacle, pas pour les enfants ! Ben en Angleterre, la version de Brian Molko+Asia Argento n'a pas fonctionné aussi bien ? Pourtant , elle est pas timide non plus !
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L
Ah, je ne connaissais pas...